Pierre Vinclair – l'atelier en ligne
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    • Terreur au jardin

      Je lis Age of Revolutions à Primrose Hill
      (où Yeats et Plath ont habité) ; l’air est chargé
      de sueur distillée comme un spiritueux,
      badigeonnée par les coureurs sur les bandeaux
      brumeux — rêvant à quoi ? Policer la pensée
      au nom de la vertu, plutôt que la laisser,
      je divague, essayer toutes les positions
      dans le jardin anglais hérissé de pluie qu’est
      l’esprit, c’est la terreur. La « terreur » des poètes
      révolutionnant une tradition
      (qu’il faut contester pour la vivre) vaut plutôt
      réincarnation — le chêne qui domine
      la butte largue, année après année, ses branches
      (vous n’en tirerez pas même un échafaud) mortes.

      22 décembre 2025

    • À paraître, Birdsong

      J’ai la très, très grande joie d’annoncer que Birdsong (mi-essai mi-poème, méditation sur les oiseaux en même temps que poésie livrée avec son making-of) paraîtra, accompagné des images du photographe coréen Min Byung-Hun avec lesquelles il dialogue, le 6 février 2026 dans la merveilleuse collection « De Natura Rerum » des éditions Klincksieck.

      — 4ème de couverture —

      Ce livre est né d’un paradoxe fécond : comment écrire sur les oiseaux sans rien savoir d’eux, ou presque ? Du jour au lendemain, Pierre Vinclair se met à enquêter au fil de poèmes-minute sur ce que les oiseaux nous font, sur la manière dont ils déplacent nos idées en nuées, frôlent nos matins, habitent un monde où leur présence s’efface. Guidé par une curiosité impressionniste, Pierre Vinclair ne s’approche jamais trop près, s’émerveille que l’on entende d’abord leur chant avant de les voir ou de vouloir les nommer.

      Les photographies de l’artiste coréen Byung-Hun Min, dans la contemplation desquelles s’est élaboré cet essai qui est d’abord une rêverie, viennent scander le texte comme des pointillés noir et blanc.

      13 décembre 2025

    • Châtaignes

      Sous le hangar immense où le marché aux livres
      du festival se tient, j’entends un éditeur
      réciter doctement : « On ne détruira pas
      la maison du maître avec les outils du maître. »
      La cliente acquiesçant ajoute à la punchline :
      On ne peut le savoir qu’après avoir tenté,
      et rejoint nos amis poètes engagés
      _____ sur la scène à slamer. C’était hier.

      Ce matin (je l’aidais) ma fille (à réviser
      son mandarin) m’offrit des châtaignes. Je pris
      plaisir à en sentir fondre une. Le poème
      propose ses façons chinoises de penser
      _____ (telle Audre Lordre, autrice d’épigrammes)
      et leurs fruits secs — c’est l’aventure. — ou ce n’est rien.

      7 décembre 2025

    • Rejoyce

      Au milieu du chemin le chemin disparaît ;
      on a pu soutenir, enhardi par des livres,
      de vaines positions sur l’anarchie cosmique
      ou la défiance à rendre aux institutions,
      le vent fouette en effet dans le désert la piste
      et le sable aveuglant fait s’envoler des grains
      absurdes, identiques, incommensurables —
      à faire évanouir tout mirage d’un ordre ;
      ces livres qu’on suçait pour se lustrer le buste,
      ou s’égayer du monde amorti qui les vend,
      retrouvent au-dessus de l’océan des pierres
      la profondeur du ciel clément : Ulysse, suis
      ces étoiles fixées par des révolutions
      bizarres, pour briller libre dans le chaos.

      30 novembre 2025

    • Le motif et la figure

      Dans le café bruyant où je devais passer une heure et demi avec trois livres dont je n’aurais évidemment le temps de lire que les premières pages, je m’étais bouché les oreilles avec un album de free jazz. Fra Angelico. Dissemblance et figuration de Georges Didi-Huberman commençait par la reprise d’une distinction jadis énoncée par Panofsky entre le motif et la figure. Dans un tableau représentant la Crucifixion, par exemple, le motif est un corps d’homme (il a les traits d’un modèle masculin avec lequel le peintre avait peut-être l’habitude de travailler, etc.) sur une croix, et la figure est « Jésus crucifié », c’est-à-dire l’événement historique précis qui a donné lieu à la littérature qu’on connaît. Jésus sur la croix est si iconique que le passage du motif à la figure est évident, mais il est plus difficile de savoir (même pour les spécialistes, apparemment) si le tableau de Veronese qu’on trouve aux Beaux-Arts de Lyon (et dont j’illustre ce paragraphe), ayant pour motif une jeune femme assise sur un banc que vient déranger un vieil homme, a pour figure tel ou tel épisode de l’Ancien testament : Bethsabée au bain, ou Suzanne et les vieillards ? Le motif correspond en tout cas à des circonstances singulières, tel corps de telle forme ; alors que la figure représente une structure, quelque chose de socialisé, tenu par des institutions (tel épisode de la Bible, ayant telle portée morale).

      Évidemment, cette distinction peut s’exporter hors de la peinture : dans ce que je vis, il y a la scène sensible (mes voisins de table sont très bruyants), et derrière une structure sociale (c’est le Black Friday, ou c’est la famille, ou c’est la misère, ou c’est le capitalisme, etc.). Toute la question, pour un artiste, est de régler les rapports entre le motif et la figure, entre la scène qu’il campe et la structure à laquelle elle est censée renvoyer. Le deuxième livre que j’avais avec moi, l’Anthologie de la poésie gazaouie d’aujourd’hui traduite par Albdellatif Laâbi, le montrait d’ailleurs parfaitement, en s’ouvrant avec ces vers de Marwan Makhoul :

      Pour écrire une poésie
      qui ne soit pas politique
      je dois écouter les oiseaux
      Et pour écouter les oiseaux
      il faut que le bruit du bombardier cesse (p. 11)

      Cet extrait oppose, d’une manière efficace mais déchirante, deux motifs — le chant des oiseaux d’une part et le bruit du bombardier de l’autre — et les deux figures dont on peut imaginer qu’elles les accompagnent généralement — la paix, la guerre. Or, l’intéressant, c’est qu’on peut imaginer tous les raccords possibles entre les uns et les autres, et compliquer le modèle en éveillant par exemple la figure de la guerre par des motifs plutôt associés d’habitude avec la paix, comme le fait la poétesse Kawthar Abu Hani quelques pages plus loin :

      J’écris sur la guerre, attablée au café Nero, dans le centre de Stockholm […]
      J’ai commandé un cappuccino au lait d’avoine géant (p. 37)

      J’étais pour ma part dans le centre de Paris, et j’avais commandé une sorte de cappuccino au lait de vache minuscule (c’est-à-dire, une « noisette »), et ces motifs presque identiques pourtant, ne pouvaient renvoyer aux mêmes figures. Ne serait-ce que parce que Kawthar Abu Hani, toute protégée qu’elle fût dans un café européen comme moi, y était pour sa part en exil. Un peu plus loin, elle écrit :

      Les avions évoquent pour mon ami suédois les vacances d’été et le voyage à Mallorca (p. 38)

      Le motif d’un avion dans le ciel signifie pour l’une la mort, et pour l’autre le farniente. Tout l’art du poème, pourrait-on dire, s’il ne se réduit ni au discours (c’est-à-dire à une exploration horizontale du monde des structures, aveugle aux circonstances concrètes comme moi avec mes oreilles obturées par la musique) ni à l’anecdote (c’est-à-dire à la description d’un événement insignifiant ayant lieu dans le monde des corps), consiste dans la « mise en motif » de la figure, ou encore la dramatisation singulière d’un fait social connu de tous. Par exemple, dire quelque chose de la guerre à Gaza mais à travers un cappuccino au lait d’avoine bu à Stockholm.

      Le troisième livre que j’avais avec moi était la biographie de Baudelaire par Marie-Christine Natta, dont j’eus à peine le temps de lire l’introduction qui portait sur le « bohémianisme » du poète. Mais une connaissance même superficielle de ses poèmes les plus connus — au premier rang desquels « l’Albatros » — suffit à savoir que c’est un écrivain réputé pour son art de l’allégorie, c’est-à-dire précisément pour sa manière de mettre en scène des figures dans des motifs, ou des structures dans des circonstances. Or, il me semble que pris comme un trait poétologique, et non pas comme un trait de caractère, son « bohémianisme » ouvre à quelque chose de plus fuyant, de moins attendu que ce qu’une lecture scolaire de l’allégorie laisserait prévoir. En effet, Baudelaire ne fait pas l’allégorie de n’importe quoi : ce qu’il essaie de mettre en scène, c’est l’exception, la gaucherie — c’est-à-dire précisément ce qui échappe au bon ordonnancement social : une figure exilée du monde des structures. Autrement dit, même s’il a l’air d’aller décrocher comme tout le monde son pompon éidétique (en passant des circonstances singulières à la structure partagée), Baudelaire n’adhère pas à l’imaginaire collectif. Il ne dit jamais que la paix est la paix, que la guerre est la guerre. Il ne se retrouve dans aucune place, aucun parti, aucun mouvement social constitué. Il n’aime, c’est bien connu, que le « bizarre » et se dit « dépolitiqué ». Son bohémianisme est l’errance ou la dérive perpétuelle, refusant de s’arrêter jamais à aucune place du monde des structures.

      Et les poètes, peut-être, sont des artistes en ce qu’ils répugnent à accorder au langage commun ses manières de catégoriser le réel en concepts — la paix, la guerre, la famille, le travail, les vacances. Mais répugner est une chose ; nous n’avons pas toujours le choix. C’est peut-être ainsi que l’on peut comprendre la citation de Marwan Makhoul par laquelle j’ai commencé. À travers les deux motifs des oiseaux et du bombardier il n’opposerait pas deux figures (la paix et la guerre), mais deux types de poésie : une poésie dépolitiquée qui jouit de lézarder dans les circonstances singulières, et de ne jamais remonter franchement jusqu’aux structures instituées (errant en-deçà du monde commun, dérivant dans l’enchantement bizarre d’une parole privée aussi irresponsable qu’un chant d’oiseau) et une poésie qui, au contraire, est sommée par la situation d’être « politique », c’est-à-dire de se mouvoir au milieu des structures du monde commun, acceptées dans l’urgence et telles quelles parce qu’elles s’imposent. Une poésie écrite par quelqu’un qui, n’ayant pas le luxe de s’adonner au bohémianisme ontologique ou de se languir dans une différance infiniment opérée par la forme, est sommé par la force des choses de valider l’évidence de la guerre, du racisme ou du patriarcat. Et de trouver les motifs qui nous les font à notre tour réaliser dans leur violence.

      27 novembre 2025

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